La réforme constitutionnelle de l’été 2008 nous a été vantée comme un modèle de Vertu Républicaine, de Transparence et de Démocratie.
C’est à la pratique que tout se voit, trop tard sans doute mais explicitement.
Ainsi, au détour de l’œuvre de toilettage du droit discutée au Parlement en ce moment, il a été fait appel à l’avis du Conseil d’État.
Nombres de députés de la commission des lois se sont alors aperçus d’une chose surprenante.
Avec les articles 38 et 39 de la constitution et l’article L112-1 du code de justice administrative qui en découle, le Conseil d’État peut être saisi :
- par le premier ministre pour donner son avis sur des projets de loi en cour de lecture et amendement dans les commissions parlementaires.
- Par le président de la commission parlementaire en charge d’une proposition de loi.
C’est ma foi bien utile quand il faut supprimer des textes qui risquent de déséquilibrer des pans entiers de codes… L’impossibilité de dissoudre une personne morale, pour cause de disparition du texte le permettant en cas d’escroquerie a défrayé la chronique cet été …Ce que n’oublie pas de rappeler le président de la commission des lois dans un échange avec un député (ici).
Forte de cette nouvelle compétence du Conseil d’État, la commission des lois a repris ses travaux.
C’est là qu’intervient le règlement intérieur de l’Assemblée Nationale, en son article 86.
Les textes des futures lois ne se discutent ni ne s’amendent simplement.
Il faut les inscrire à l’ordre du jour de la commission compétente, lire le rapport et le texte législatif en préparation, discuter chaque mot, ou presque, émettre des observations avant de déposer des amendements puis voter.
Pour cela, les députés se laissent 6 semaines (article 86 al.2 du règlement intérieur).
Cela n’a rien d’extraordinaire : il faut maitriser son sujet, entendre toutes les personnes susceptibles d’apporter des éclaircissements profitables, … d’aucuns parlerons de « groupe de pression ».
Dans l’affaire qui nous préoccupe, le Conseil d’État, pour une proposition de loi a été saisi par le président de l’Assemblée Nationale, à la demande du président de la commission chargée du dossier.
La grande force de la Démocratie est de rendre public toutes ces discussions, ces revirements, ces amendements, tous consultables en ligne ou sur papier, quasiment en direct.
Tous ?
Non ! Ainsi, au détour de l’œuvre de toilettage du droit en cours, nombres de députés de la commission des lois s’en sont aperçu et émus… en vain.
Qui en a décidé ? Le Conseil d’État lui-même, semble-t-il.
Tout d’abord, c’est ce qu’il répond sur son site officiel lors de recherche en ligne (ici ).
Ensuite, dans le rapport n° 2095 de la commission des lois de l’Assemblée Nationale, il y a un long échange entre députés pour expliquer pourquoi les honorables membres de la commission ne disposeront jamais de la version complète et écrite de la réponse du Conseil d’État…
Le Conseil d’État lui-même ne le souhaitait peut-être pas, se considérant simple « consultant »…(voir le débat qui débute page 19 et s’achève page 24, les lecteurs apprécieront ici).
Mais notez bien la réflexion faite par le rapporteur, à la page 24 du rapport :
Je pense que c’est la bonne méthode de travail. Si nous publions tout, les auteurs de propositions de lois auront tendance à ne pas inclure les dispositions les plus délicates, de crainte qu’elles ne fassent l’objet d’un avis défavorable du Conseil d’État. Or l’intérêt de la nouvelle procédure est précisément de pouvoir soumettre à son expertise les mesures les plus compliquées.
…or, c’est ce type d’argument qui a été soulevé par les juristes en général et le syndicat des magistrats administrativistes en particulier, pour s’opposer à l’adoption de l’article 40 de cette proposition de loi de simplification du droit.
Ce fameux article prétend organiser pour 3 ans la possibilité pour les collectivités territoriales de consulter les juridictions administratives pour avis, préalablement à l’adoption de certains de leurs actes…
En réalité, on voit que l’auto-censure pratiquée désespérément par le Conseil d’Etat pour préserver officiellement l’initiative parlementaire n’est pas satisfaisante.
En effet, contrairement aux irresponsables qui ont été à l’origine de ces articles 38 et 39, les juges du Conseil d’Etat (et le Rapporteur de la Commission des lois a même eu du mal à l’expliquer aux parlementaires) ont pris la mesure du véritable enjeu de ces articles qui minent la démocratie parlementaire par le jeu de consultations pour avis et qui peuvent conduire à la longue une auto censure (plus ou moins volontaire) des Parlementaires dépendante de la jurisprudence du Conseil d’Etat.
Il faut souhaiter au plus vite une initiative volontaire pour supprimer ces articles qui gangrènent notre 5ème République.
Il faut absolument comprendre l’enjeu que représente l’entrée du Conseil d’Etat dans le monde législatif :
Juridiquement, les membres du CE sont des fonctionnaires au statut moins protecteur que le statut général de la fonction publique en matière d’avancement et de pouvoir disciplinaire.
La pratique y supplée, mais ce n’est qu’une pratique.
Plus que jamais, l’intervention du Président de la République et du Conseil des Ministres dans la nomination des membres du Conseil d’État pose la question de son impartialité.
Une brève relecture dans la constitution du Consulat (22 Frimaire an VIII) éclaire crument mon propos :
- « Sous la direction des consuls, un Conseil d’État est chargé de rédiger les projets de lois et les règlements d’administration publique, et de résoudre les difficultés qui s’élèvent en matière administrative » (Constitution du 22 frimaire de l’an VIII, article 52).
Mamouchka.
Vous avez raison : les avis du CE, puisqu’ils existent, doivent être rendus publics. Il est anormal que les parlementaires eux-mêmes n’en aient connaissance que par extraits, au surplus quelques minutes avant l’examen de la proposition de loi en commission !
Moi, ce qui me choque, c’est le risque d’auto-censure, l’immixtion du CE au sein du pouvoir législatif et la réplique qui en est faite au niveau local, qui choque tant les magistrats administratifs…
Mamouchka.