Histoire et Pouvoir : le couple infernal ?

Avec l’apprentissage de l’histoire et de la géographie, nous appréhendons la diversité des mondes et des cultures. La comparaison peut alors se transformer en jugement de valeur ou en ouverture sur le monde, selon la restitution des savoirs.

Ce débat ressurgit avec la violence de la thématique du débat sur l’identité nationale mais aussi avec des exigences d’autres « habitudes ».

La manière d’aborder ces thèmes est éminemment « politique ».

L’histoire, justement, est là pour nous le rappeler !

Les pouvoirs religieux rigoristes nous ont déjà imposés leurs visions du monde (gare à l’érudit qui contrevient au dogme scientifique officiel). Les pouvoirs temporels aussi.

Ignorants, nous sommes devenus érudits et maintenant, nous sommes plus à même d’observer la manœuvre…

S’il faut en croire des journaux, le bonapartisme reviendrait à la mode chez nos dirigeants. La pratique du pouvoir « personnel » actuel peut être analysé comme un pouvoir « autoritaire », énonçant un « travailler plus pour gagner plus » (valant le slogan « enrichissez-vous ») souvent accompagné du « taisez-vous » (pour la presse, l’opinion publique, voire les grèves).

Les régimes autoritaires, donc, surveillent et encadrent le contenu des enseignements.

Napoléon 1er, par exemple, a privilégié les matières scientifiques.

Pourquoi ? Parce qu’il craignait plus la force incoercible de l’opinion et des idées que les révoltes ouvertes et les attentats : c’est pourquoi il discrédita l’idéologie et les idéologues (terme qui s’entend par « science des idées ») et fit supprimer la classe des sciences morales et politiques à l’Institut de France.

Par contre, il a favorisé les sciences exactes (physique, chimie, sciences naturelles, sciences médicales), les plaçant au premier rang mondial (de l’époque !) ce qui lui permis aussi de résoudre des difficultés d’approvisionnement liés au blocus continental.

Napoléon III a poursuivi en ce sens (malgré le rétablissement de l’institut des sciences morales et politique en 1832), supprimant au lycée, les enseignements de la philosophie et de l’Histoire.

Pourquoi aussi supprimer l’Histoire ?

Parce que l’Histoire a toujours été un enjeu et un outil aidant à l’édification du Peuple.

La révolution Française est passée par là, les restaurations monarchiques puis bonapartistes aussi…

Le sujet est sensible.

Le pouvoir n’est pas stable. Il oscille encore entre plusieurs formes : monarchie, république.

Il y a un problème de cohésion nationale : quiconque se place à son avantage risque les foudres des autres ou risque de voir des corps constitués voler en éclat (Eglise du Concordat contre Réfractaires, Armées impériales contre royalistes… ce qui n’a pas manqué d’être d’ailleurs, de façon larvée, par le jeu des carrières ou des demi-soldes).

Les occasions de voir les foules s’insurger seront nombreuses au XIX ème siècle, avec l’envoi des troupes loyalistes pour unique réponse.

A l’Est, Staline procède le 23 avril 1932 à la dissolution de toutes les organisations artistiques existantes. Elles font place en 1934 à l’Union des Artistes pour revenir à un académisme des plus classiques.

Plus que ces décisions symboliques, les bibliothèques sont épurées. De nombreux ouvrages sont censurés, expurgés ou réécrits. L’histoire est réécrite en permanence, de nombreux documents retouchés ou truqués, afin de présenter Staline à son avantage ou pour justifier chaque nouveau changement de ligne politique.

Là, encore, l’État et le pouvoir en exercice sont instables.

Lors des dixièmes rendez-vous de l’Histoire à Blois en Octobre 2007, le thème est « L’opinion, information, rumeur, propagande ».

Une première conférence annonce : « L’histoire : un enseignement sous influence ? »

Patrick Garcia y évoque l’histoire comme « roman national » ayant pour objectif et volonté de construire une généalogie, une continuité française, un sens, un récit organisateur (passé, présent, futur).Mais il la présente aussi comme un récit qui oblige et qui donne des devoirs (et donc des sacrifices).

Le XIXe revendique un magister national ( un cursus valable partout avec des étudiants sanctionnés par un diplôme) alors que l’histoire nationale est agitée. La politique ( avec ses lois, ses manuels et ses circulaires aux « hussards de la République ») va contribuer à faire l’histoire. Le manuel d’histoire d’E. Lavisse en est la parfaite illustration. Depuis quelques années nous assistons à un retour vers le « national » avec les lieux de mémoires. On peut s’interroger sur ce qu’il reste du national. Que transmettre, pour quelle identité ? D’où la nécessité de la création du commun, de l’humanisme, du patrimoine.
Pour Alain Bergounioux, l’identité (nationale) est présentée comme un problème.

Selon lui, un élément nouveau est apparu : « le devoir de mémoire » qui renvoie à un sentiment de responsabilité devant l’histoire (crime contre l’humanité), surtout dans des sociétés dans lesquelles le rapport à l’histoire national est conflictuel.

Le présentisme dominant favorise les ancrages mémoriels (besoin de se raccrocher à la mémoire commune). Les débats sont marqués du sceau de la conjoncture mais ancrés dans le passé.

Depuis 5-6 ans, de nombreuses lois voient le jour en France, mais le phénomène semble plus universel.

Les historiens prennent une position commune : à savoir une grande méfiance vis à vis de l’instrumentalisation de l’histoire. Sous l’injonction de la recherche, l’enseignement de l’histoire a une visée de vérité… relative.

L’histoire se doit d’être une méthode d’objectivation et se situe du côté de la raison contrairement à la mémoire qui se trouve du côté du sacré.

Laurent Wirth, lui, se penche sur les nouveaux programmes au collège.

Il relève qu’en matière d’enseignement, le travail s’effectue librement. Il existe certes des influences mais pas de contraintes (colloque datant de 2007, avant l’affaire de la lettre de Guy Moquet).

Ces influences sont au nombres de 4 :

– La loi

– l’exécutif (lettres de cadrage du ministère, direction générale de l’enseignement scolaire)

– « les gens du métier » (universitaires, professeurs, syndicats)

– « les porteurs de mémoire » (associations de résistants, déportés, « cités » thématiques)

Ces éléments sont les garants de l’histoire à condition de ne pas tomber dans le communautarisme.

Il conclut « Le fait que l’histoire soit sous influence ne pose pas de problème dans un régime démocratique. Dans un régime totalitaire, elle est sous contrainte ».
Mais surtout, il apparaît que toucher à l’enseignement de l’histoire et plus généralement aux sciences humaines est un mauvais signe. La confusion règne dans les esprits et l’Etat se sent menacé dans sa légitimité.

Mamouchka.

Pour aller plus loin :

http://www.cosmovisions.com/Napoleon11.htm

Wikipédia et Napoléon III.

http://fr.wikipedia.org/wiki/Histoire_de_l%27URSS_sous_Staline#Arts.2C_sciences_et_culture_sous_le_stalinisme

http://www.asmp.fr/travaux/communications/2009/prost.htm

http://www.institut-de-france.fr/rubrique_L_Institut_de_France-Une_institution.html?arbo=51&page=184

http://ens-prof.ac-dijon.fr/Pedadispl_lh/histoire_geo/spip.php?rubrique173

Et le document Word :

ens-prof.ac-dijon.fr/Pedadispl_lh/…/Aujas_Blois_1_.doc –

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Une réponse à Histoire et Pouvoir : le couple infernal ?

  1. Marie THUREAU dit :

    Superbe travail, bien documenté, comme toujours !

    Quand tu veux, on se met à Bossuet… Je crois que je vais avoir du temps;) et toi aussi, non ?

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