Un enfant, à corps et à prix.

Rudes débats autour de la révision des lois de Bioéthique !

Le dossier du « Monde 2 » du 21 juin 2009 dernier s’en est fait l’écho.

Je me suis donc penchée sur ce sujet, sur lequel je suis extrêmement réservée.

La Rédaction a fait se rencontrer et débattre deux philosophes, une femme et un homme, que tout oppose, notamment la question des mères porteuses.

Je m’interroge : le choc des convictions est-il partiellement dû à l’opposition de leurs genres ?

A. Le premier axe de leur réflexion tourne autour du caractère commercial de la « gestation pour autrui ».

1er. Leurs arguments sont les suivants.

a. Monsieur est favorable à la gestation par un tiers de l’enfant d’un couple, parents biologiques.

Il accepte également que cet acte soit reconnu comme un travail (c’est à dire la pratique d’une tâche exécutée dans le cadre d’un lien de subordination, en contrepartie d’une rémunération, selon la notion de contrat de travail) et ne s’émeut pas qu’il s’agisse d’une gestation doublement délocalisée : hors la mère biologique et hors les frontières (puisque les pays qui légalisent cette pratique sont notamment l’Inde et l’Ukraine).

Il justifie cette position par le fait que le corps soit déjà sur « le marché », déjà partiellement « rétribué » pour le sang, les organes voire le corps entier comme sujet d’étude pour la science.

Le salariat mettrait également fin à une certaine hypocrisie sur la notion de « don de soi » qui se heurte à la tarification à l’acte pour le patient (le sang, prélevé gratuitement est facturé aux hôpitaux et aux malades transfusés).

b. Madame y est farouchement hostile au motif que les « gestatrices » perdent leur humanité, leur individualité en se transformant en « matrices professionnelles ». Elle accuse les pays qui légalisent cette possibilité de ne voir que l’aspect financier : pays trop souvent en voie de développement, ils ne s’intéressent pas à leurs populations mais aux ressources et devises qu’ils engrangent.

Cette précarité économique reflèterait la précarité politique de ces Etats qui ne protègent pas leurs nationaux contre des intérêts privés bien compris mais sans compassion pour les individus.

Bref, dans ces contrées, la femme, déjà bien mal considérée comme sujet de droit, socialement misérable se retrouve encore plus déconsidérée avec cette « activité » économique, justifiée par la seule misère et l’incertitude du lendemain.

2ème. J’y vois le heurt de deux conceptions (si j’ose dire) d’intérêts immédiats.

a. Dans un premier temps, nous avons les « créanciers », ceux pour qui « l’enfant à naître » devient l’objet d’une créance.

a.1. Tout d’abord, nous avons le couple, futurs parents et parfois plus particulièrement la mère.

Il existe une véritable demande individuelle de la maîtrise de sa vie et de son corps, via l’antithèse de notre sujet, la pilule.

Cette révolution a permis aux femmes de dire « un enfant, si je veux, quand je veux » et ne plus subir les maternités ni l’opprobre hypocrite de la justice et la société concernant les avortements clandestins.

Ce droit ressenti comme acquis (pilule et avortement), restait à obtenir son inverse : un enfant même lorsque la morphologie, la conformation ou l’âge s’y opposent. Les techniques médicales ont progressées, de la stimulation ovarienne à la FIV (de fabrication « maison » ou par don de sperme ou d’ovocyte).

Une nouvelle limite est franchie avec la gestation pour le compte d’autrui.

a.2. A la suite de cette prouesse technique, de nouveaux « bénéficiaires » se présentent pour profiter de cette « aubaine ».

– Indirectement, nous avons le monde de l’entreprise.

Les femmes de plus en plus qualifiées et diplômées travaillent et revendiquent leur part : la progression de carrière et un salaire équivalent.

Jusqu’à présent, la trop fameuse « horloge biologique » les trahissait : il fallait concilier progéniture et plan de carrière dans la tranche d’âge de la trentaine.

Et c’est là que le plafond de verre prenait la relève : avec la maternité, la hiérarchie masculine refusait toute progression aux femmes devenues « peu fiables » car trop souvent « plombées » par les maladies infantiles et autres contingences de ce genre…

Avec la révolution médicale, la « superwoman » peut décomposer sa vie sociale en deux temps : le travail pour la trentaine, puis les enfants en début de quarantaine.

– De façon plus atypique, les homosexuels présentent de nouvelles revendications jusque là jamais envisagées.

Maintenant que leur état est dépénalisé (en Europe tout du moins), que leur exposition publique ne suscite plus d’opprobre officielle et sociale, de nouvelles demandes émergent : mariage, succession, adoption et filiation médicalement assistée.

Là, j’avoue que je reste perplexe quant à la pertinence de la démarche : comment peut-il être réclamer le « respect à la différence » et rechercher par tous les moyens « la norme sociale ».

Dans tous ces cas, s’il est possible de croire que l’être humain s’affranchi des règles de Dame Nature, je constate que toutes ces recherches visent à passer outre les impondérables du corps, de l’âge et du sexe, pour mieux l’imiter.

La technologie en moins, la Rome Antique avait déjà trouvé la parade en permettant le divorce puis le remariage, le temps que la nouvelle épouse donne l’héritier tant attendu, avec parfois pour mère officielle la femme stérile…

b. Reste à savoir ce qu’il advient des « obligés ».

b.1. Qu’en est-il de la « gestatrice » ?

Déjà, ce néologisme fait référence à la femelle gravide : c’est réducteur à la seule fonction de gestation et dégradant pour la femme.

Sans doute est-ce pour cela que les pays qui se refusent à légaliser la pratique sont ceux où les individus bénéficient le plus de la reconnaissance sociale par le travail. Le débat idéologique et religieux sont également très marqués.

Malheureusement, ces considérations disparaissent en cas de vie précaire. Comment avoir des considérations philosophiques face à l’incertitude du lendemain ?

Le dossier de presse rapporte que les pays reconnaissant la pratique à grande échelle sont l’Inde et l’Ukraine.

Cette pratique y est quasiment « industrialisé », pour le plus grand bonheur des cliniques privées, des gynécologues, des laboratoires qui s’adressent trop souvent aux couples étrangers.

Quant aux femmes, elles s’assurent une année de revenus pour neuf mois de risques (diabète, hypertension, problème veineux, fausses couches…), sans parler de l’accouchement lui-même source de risque vital pour la mère et l’enfant.

b.2. Deuxième intéressé : l’enfant.

Durant neuf mois, il se développe, au chaud, au mieux.

J’imagine que son développement est surveillé comme le lait sur le feu : obligation de résultat pour l’équipe médicale de livrer un « produit conforme »…

Par contre, qu’en est-il de la complicité mère/enfant ?

Comment se déroulent les suites de l’accouchement ? L’enfant est-il présenté à la « gestatrice » ? Sur son ventre ? Et pour sa mère biologique, quand fait-il sa connaissance, peau à peau ?

Tout cet aspect est occulté, comme si le « petit bout » était un « vulgaire paquet ».

Enfin, tant qu’à être sordide, le contrat entre la clinique et les « parents » précise-t-il ce qu’il advient en cas de « défaut de conformation » (avortement, opération in utero, abandon, lourdes indemnités ?).

Mais le commerce n’est pas tout !

B. Encore faut-il l’encadrer par la loi pour la rendre socialement acceptable.

1er. Divergence de vues des deux philosophes…encore !

a. Monsieur explique qu’avec la philosophie des lumières il y a eu une formidable avancée juridique avec la notion de « crime sans victime ».

En purgeant ces crimes jusqu’alors inscrits dans les textes répressifs, la coercition sociale et étatique ont été allégées pour le plus grand bénéfice des individus.

C’est ainsi qu’ont disparu, dépénalisés, le blasphème, le suicide et l’adultère.

Il veut que la gestation pour autrui profite de cette même notion au motif qu’il n’y a que des bénéficiaires et aucune victime : un couple devient « parents », un enfant est né, une femme a bouclé ses fins de mois…

b. Madame, elle, s’indigne contre l’analyse qui voudrait que le Droit réponde par des textes à des demandes individuelles alors qu’il a vocation à palier à des inégalités, des manques, des tragédies pour le groupe. C’est la notion d’intérêt général qui est au cœur du débat.

2. Pour ma part, plusieurs choses me viennent à l’esprit.

Je considère que si la « gestatrice » et l’enfant ne sont pas a priori des victimes ils demeurent sans conteste des contractants en position de faiblesse. Le droit se doit de les protéger au risque de vider de tout intérêt la pratique.

Il ne faut pas oublier non plus que d’autres pays le pratiquent et que dés lors, comme nos frontières ne sont pas imperméables, nous sommes amenés à en tenir compte, indépendamment de nos convictions.

Ensuite, le Code se doit-il de prévenir les moindre «impondérables » ?

Jusqu’à présent les lois organisent les relations des individus entr’eux et les relations entre les individus et l’Etat. Avec le développement des technologies, l’individu pour lui-même devient prescripteur de droits, au point d’en faire une « consommation ».

Dans un tout autre ordre d’idées, la commercialisation de la « matrice » et le phénomène des « délocalisations » pourraient aussi renvoyer à une image de colonisation économique dans le domaine du vivant.

C’est le caractère commercial débridé réifiant la personne qui devient contestable.

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