« Elles désespèrent de brouter de l’herbe fraiche en abondance car c’est la sècheresse !
Le puits est tari, il faut se brancher sur le réseau de la ville. Encore des frais ! »
Je reviens de la visite d’une exploitation et voici ce qu’il ressort d’un entretien d’un peu plus de deux heures avec un couple de producteur laitier.
Pour espérer tenir dans la profession, il faut avoir des diplômes, le plus possible, quitte à les collectionner du CAP jusqu’à celui d’ingénieur. Les temps sont difficiles, la profession est en pleine mutation, Les bras et le labeur ne suffisent plus pour vivre.
Comment en est-on arrivé là ?
Comment certains industriels peuvent croire que des gens accepteront de travailler sans broncher, dans l’ignorance du prix qu’il leur sera donner à la fin du mois pour le lait livré, tous les deux jours ?
Un lait bio est acheté 41 centimes le litre au producteur pour se trouver en magasin en brique UHT à 1,55 €.
Pour un lait « conventionnel », il faut compter 35 centimes le litre.
La traite s’effectue deux fois par jour et le camion passe tous les deux jours. Le tank conserve le lait à 4°C. Il s’agit donc d’un produit fragile, trop difficile à conserver pour modifier les rapports de force entre producteurs et industriels.
Depuis septembre 2009, nous entrons dans un nouveau rapport de fixation des prix entre producteurs et industriels du lait : la négociation. Après une première grève du lait en hivers 2009, nous voici avec une nouvelle crise pour cet été 2010 parce que les industriels ne veulent pas augmenter le prix selon les modalités mécaniques du marché des matières premières …
Sommes-nous naïfs pour croire possible de négocier à « égalité » quand un des contractants est économiquement dépendant d’un seul « client » ? Ce n’est pas possible !
D’autant qu’il faut se rappeler que durant l’hiver 2009, les producteurs ont dû signer des contrats d’exclusivité avec les industriels qui ramassent et transportent le lait … Deux « indépendants » juridiques ne le sont pas forcément d’un point de vue économique. Elle est là, la faille du raisonnement « libéral ».
De plus, le cours du lait s’établit à partir de sa poudre. Or, nos laiteries ne travaillent qu’à partir du lait « liquide » pour confectionner leurs produits.
Il est possible que cela ne soit pas le cas sur d’autres continents, aux USA, par exemple avec les grosses industries que nous lui connaissons.
Il n’y a que le rayon puériculture qui s’intéresse au lait en poudre ! Le grand public lui préfère la brique UHT.
Donc, la référence à la poudre de lait pour établir un « prix du lait » me paraît être une aberration pour le marché français mais peut-être que les productions étrangères l’utilisent, abaissant ainsi les prix, gênant ainsi nos exportations avec des produits de moindre qualité ?
J’apprends à l’instant que les industriels viennent d’obtenir un alignement sur le prix du lait pratiqué en Allemagne. Le pays n’est pas le plus producteur en Europe ! Déjà que l’ouest de la France est « mieux » rémunérée que les autres régions de l’hexagone, que viennent faire les producteurs d’outre-Rhin dans le référencement ?
Par ailleurs, les opérations de « stickage » montrent tout à la fois la difficulté de se faire entendre et de se faire respecter par les industriels. Hélas, le marquage des seuls produits de marque comporte une lacune : l’oubli des grandes enseignes commerciales qui négocient de grands volumes de productions agricoles (lait, fromages …) sous leur propre marque, à des tarifs d’appel, auprès de ces mêmes industriels stigmatisés ! Et il semble avéré que les produits « marque de magasin » procurent des marges bien plus confortables.
Quelles sont les solutions pour maintenir son exploitation à flot ?
Certains se convertissent à l’agriculture biologique.
Les produits sont mieux payés. Les circuits de vente ne sont pas tenus par les grandes surfaces. La férocité des négociations n’a donc pas sa place. Dans certains cas, ce sont même les producteurs qui fixent les tarifs. C’est le cas parfois dans les bio-coops, ou dans la vente directe à la ferme.
La difficulté est d’avoir la surface nécessaire et un peu plus, suffisante, pour compenser le rendement moindre, en l’absence de produits phytosanitaires ou de produits pharmaceutiques.
Ainsi, pour 50 vaches laitières, en conventionnel il faut moins de 70 hectares pour fournir le fourrage (foin, luzerne etc…). Si le bio vous tente, il faut 80 hectares.
C’est facile à dire, encore faut-il avoir la place pour « pousser les haies » … La terre appartient toujours à quelqu’un, pas de vacance de propriété ! Donc, si les voisins exploitent, ne partent pas en retraite et ne louent rien, la reconversion est hors de portée.
Quand bien même vous disposez des surfaces nécessaires, vous voici en difficulté en cas d’aléas climatique. Parce qu’en cas de sècheresse, la production fourragère chute. Et pas question d’épandre un peu de fertilisant pour relancer la pousse, vous êtes bio !
D’autres, cherchent, voire traquent, la possibilité d’économiser les charges d’exploitation.
Pour cela, ils produisent l’aliment du bétails s’ils sont éleveurs (foin, luzerne, maïs), conservent de quoi réensemencer leurs champs (démarche bio à l’opposé des productions OGM qui ne sont pas auto-fécondes), développent leur autonomie énergétique (panneaux solaires, thermies capturées près des tanks à lait, éolienne, méthanisation) ou deviennent producteurs vendeurs de photovoltaïque pour le seul compte d’EDF, limitent l’usage des intrants.
Les panneaux solaires sont pratiques pour fournir l’eau chaude nécessaire. Il est plus intéressant d’avoir cet équipement si l’on tire l’eau chaude le matin, ce qui n’est pas forcément dans les us et coutumes (bain des enfants le soir chez beaucoup).
Cette exploitation dispose de panneaux solaires sur le toit de la salle de traite. Un compteur a même été installé par l’ADEME mais il n’est jamais relevé ni analysé !
L’éolien a tenté bien des groupements d’agriculteurs. Hélas, les mesures gouvernementales favorisent les grosses structures qui plantent des « champs d’éoliennes ». Rien ne favorise l’autonomie des petites structures. C’est bien dommage.
Un regroupement d’agriculteurs autour d’une éolienne de 900 watt serait pourtant bien vu et garantirait une meilleure indépendance des professionnels. Sans doute est-ce là que le bât blesse !?
La méthanisation est dans certains projets. Si les Allemands la pratiquent au point d’avoir des petits patelins chauffés par quelques exploitants locaux, l’ADEME, peu convaincue par la méthode, préfère limiter son aide à un projet par région. La méthanisation se fait à partir de matière « sèche » ou « liquide » (pas de détail, tout le monde comprend !?), dans de grandes cuves enfouies. L’idéal est d’intégrer cette méthode à un processus industriel agro-alimentaire gourmand en chaleur (serres, couveuses, laiteries …). En plus, en s’intégrant à un processus industriel, les exploitants peuvent continuer à maitriser leur circuit. Encore faut-il avoir la place, le projet, les « hommes » et les financements pour oser la prise de risques.
En fait, en discutant plus avant, c’est un des aspects des difficultés de la profession : la mutation du métier et la prise de risque. Pourtant, il existe des solutions juridiques et économiques pour réconcilier « industriels » et « paysans ». Par exemples il y a moyen de regrouper des secteurs et des statuts professionnels différents pour un projet commun, tel que la SICA.
Dans les années 70, il y a eu le remembrement des exploitation pour regrouper les terres, rationaliser les déplacements mais aussi pour reformer des parcelles avec des tracteurs plus gros afin d’augmenter le travail en parcelle/jour. Cela s’est accompagné du renforcement à l’export de l’industrie agro-alimentaire avec intégration accrue des exploitants dans le schéma. Aujourd’hui, nous assistons à une géolocalisation des productions, schéma aberrant lorsqu’une calamité climatique s’abat sur la région productrice.
Depuis trois générations, les producteurs augmentent leur cheptel et leur surface d’exploitation mais les revenus sont toujours aussi maigres ! Pourquoi ? Parce que depuis le début ces gens sont à la source de la chaîne de production mais ne maitrisent pas leur filière !
Ils supportent donc l’effort sans « récompense ». En plus, à force de détruire les haies bocagères qui brisent les vents dominants (Hauteur de haie x 3 = longueur de terrain abrité), la terre se dessèche et réclame plus d’intrants. Le recours aux produits phytosanitaires détruit les organismes. La terre se meure, se transforme en roche sur laquelle pousse la mousse… C’est infernal !
Que mangent les vaches ? Question idiote sans doute mais depuis le scandale des farines animales, elle me paraît nécessaire ! Pour moi, citadine élevée aux champs, les vaches broutent et mastiquent à longueur de temps.
Ici aussi !
Le foin et l’herbe fraiche sont la nourriture de base. Les petits pois ne sont plus donnés parce que cette culture est peu rentable. La graine de lin, très tendance avec ses « oméga », n’est profitable aux buveurs de lait et autres mangeurs de beurre ou de viande …qu’à travers la consommation d’œufs et de volailles. C’est le point de vue de l’éleveur visité.
L’inconvénient du foin, outre son stockage, est sa pauvreté nutritionnelle. Il faut donc supplémenter les bêtes avec des granulés tirés de divers tourteaux (résidus des graines de soja, colza, maïs après extraction de l’huile) ou de végétaux (blé, luzerne). La luzerne est LE produit énergétique par excellence. Notre hôte s’extasie sur l’usine de séchage proche qui profite des gaz de décomposition d’une décharge enfouie pour dessécher par étuvage (dessiccation) les luzernes produisant des granulés « de luxe ».
Je connais cette entreprise de séchage; elle pratique le tourisme industriel. Voilà une autre belle idée de visite !
Mais revenons au fourrage !
Le foin permet l’expansion de la panse tandis que les granulés garantissent la qualité de l’alimentation. Le foin régule également le transit et protège de toute fermentation intestinale pouvant étouffer l’animal. La manœuvre de « perçage » du cuir est désespérée et ne se pratique plus guère grâce aux connaissances acquises.
Pour renouveler le troupeau de vaches laitières, il faut des veaux. L’insémination artificielle est passée par là. La pratique est au point mais n’est pas garantie à chaque « injection ». Encore des frais !
Les veaux, eux, ne seront pas élevés « sous la mère » et seront vendu dans le mois de leur naissance si ce sont des mâles. Les « filles » restent sur l’exploitation pour devenir de futures laitières. Dès la naissance, les deux oreilles des petits reçoivent une étiquette avec les mentions suivantes, disposées comme suit :
FR (pays de naissance)
Département – N° de l’exploitation
N° de l’animal
Cette immatriculation est couplée à l’existence d’une carte, sorte de carte d’identité et de carnet de santé. Les bêtes ne peuvent pas circuler sans cette carte et les abattoirs exigent les deux oreilles.
La visite s’achève. Je repars avec du lait de la traite à laquelle je viens de participer. La bouteille est toute chaude, comme une bouillotte.
Il va falloir le faire bouillir, avec l’anti-monte-lait.
Entier, il va me garantir une excellente tenue pour l’entremet auquel je le destine …trop bon !
Mamouchka.
Un billet très complet qui prouve encore une fois qu’il faut encadrer les échanges, réduire les abus de position dominante pour permettre aux agriculteurs de vivre de leur travail.