Dès l’origine, par la qualité des intervenants, cette histoire défraie la chronique. Terriblement banale (affaire familiale) et vulgaire (captation de fortune) elle tourne au scandale politico-judiciaire.
Mais surtout, depuis le début, une seule question me taraude, un détail, mais sur lequel achoppe tout le dossier : pourquoi avoir choisi la plainte pour abus de faiblesse plutôt que se lancer dans la procédure de protection des majeurs ?
Trois ans après, il devient particulièrement difficile de retrouver les articles de presse.
Finalement, voici la chronologie à laquelle je suis parvenue.
Le télescopage avec la réforme de la capacité des majeurs rend l’affaire encore plus dramatique.
J’espère qu’il n’y a pas lieu de soupçonner un quelconque « arrangement », comme lors du toilettage du code pénal, favorable à l’église de scientologie, en juin 2009.
Au 1er janvier 2007, entre en application le « mandat posthume » (loi de juin 2006) qui permet d’organiser la gestion de ses biens à la suite de son décès. Cette disposition est reprise par les articles 812 et suivants du code civil.
Le 5 mars 2007, la loi réformant la protection des majeurs incapables est votée, sans décret d’application…
Elle contient entr’autre la possibilité de conclure un contrat de mandat de protection future par devant notaire ou sous-seing privé.
Les juristes relèvent que ces réformes, parfois calées sur le système nord-américain, contiennent des imprécisions et des lacunes regrettables.
Le 19 décembre 2007, un mois après le décès de son père, madame Meyer-Bettencourt porte plainte contre X pour abus de faiblesse sur sa mère.
« Après avoir déposé une première plainte au parquet de Nanterre en décembre 2007, la fille de Liliane Bettencourt a cité directement l’artiste au tribunal correctionnel pour qu’il y soit jugé du chef d' »abus de faiblesse », au risque d’un grand déballage concernant l’une des familles les plus riches de France. Dénonçant une « emprise morale » de l’artiste sur sa mère, elle affirme également dans sa plainte que celle-ci peut parfois « ne pas se trouver en pleine possession de ses moyens », en raison d’une « affection neurologique ».»
Le 24 septembre 2008, après des mois d’enquête, monsieur Banier et d’autres sont placés en garde à vue.
Or, jusqu’au 28 décembre 2008, avec les articles 493 et 493-1 du code civil, les descendants, par requête auprès du juge des tutelles pouvaient demander la mise sous tutelle. C’était au juge de décider de la force de la protection (sauvegarde, curatelle ou tutelle). Une tutelle ne pouvait être prononcée par le juge que si l’altération avait été constatée par un médecin spécialisé. RIEN ne précisait que la charge de production du certificat médical revenait à la famille. J’ai d’ailleurs souvenir d’un dossier où le magistrat avait lui-même sollicité ce certificat auprès d’un médecin. La famille était inquiète de l’état de santé de la grand’mère et s’était adressée au Greffe, un peu en catastrophe.
Mais l’année 2009 voit l’entrée en application de la réforme sur les mesures de sauvegarde des majeurs incapables.
En effet, la loi votée le 5 mars 2007 qui aura vu ses décrets d’application (et ils sont nombreux ! ) arrivés entre les mois de novembre et décembre 2008… entre en vigueur au 1er janvier 2009.
Désormais les articles 430 et 431 du code civil organisent les cas d’ouverture de la procédure des tutelles.
Si la demande d’ouverture de la mesure peut être présentée au juge par un parent, elle doit être accompagnée, à peine d’irrecevabilité, d’un certificat circonstancié rédigé par un médecin spécialisé.
Il faut donc comprendre que les requêtes de madame Meyer sont désormais toute rejetée, avec une parfaite rigueur juridique … et la componction hypocrite de certains.
Le 02/12/2009 la fille de Bettencourt saisit le tribunal des tutelles, sans certificat médical.
Le 09/12/2009, La presse annonce que « le juge des tutelles de Neuilly-sur Seine a refusé l’ouverture d’une procédure de protection judiciaire »
Le 13/07/2010 « Le conseil de la fille de l’héritière de L’Oréal, Me Olivier Metzner, a envoyé une lettre au procureur de Nanterre mardi, afin qu’il saisisse le juge des tutelles. Mais cette demande échoue une nouvelle fois car elle n’est toujours pas accompagnée d’un certificat médical…
La multiplication des demandes adressées au Parquet tient au fait que les requêtes sont privées de tout certificat médical. C’est d’ailleurs ce que souligne la chancellerie dans une circulaire de la Direction des Affaires Civiles et du Sceau (CIV/01/09/C1 du 9 février 2009).
Il faut également savoir que « le Parquet peut classer la demande après avoir constaté que des procurations suffisantes sont en place auprès des proches et fonctionnent dans de bonnes conditions (…/…) ou bien si le Parquet est informé qu’un mandat de protection future a été mis en œuvre et qu’il n’a pas connaissance de difficultés de fonctionnement (circulaire op.cit) ».
Bref, l’avenir est sombre pour Mme Meyer.
Y a-t-il un espoir avec la plainte traitée en la 15ème chambre correctionnelle depuis que sa présidente est autorisée à instruire sur le contenu des écoutes illégalement obtenues chez madame Bettencourt ?
Non, car le dossier est purement pénal et un éventuel jugement correctionnel établissant un état de faiblesse ne sera jamais un certificat médical.
Or, en présence d’un refus d’un majeur à protèger à se faire examiner, nous arrivons face à une impasse, non prévue par les textes.
Par contre, malgré l’absence de certificat médical, il serait déjà possible, lorsqu’une personne que l’on souhaite protéger refuse de se faire examiner, de demander au procureur (ou que le procureur en prenne l’initiative) de faire convoquer ladite personne chez un médecin habilité. Ce dernier, en l’absence de l’intéressée, pourrait dresser un certificat de carence qui permettra au procureur de saisir le juge des tutelles. Ce dernier pourra, au vu de ces éléments, prononcer une mesure de protection.
Visiblement, cette solution n’a pas été retenue par le Parquet.
Dé lors, il serait peut-être possible d’agir auprès du juge des tutelles en une audacieuse démarche en deux temps :
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dans un premier temps, par une requête de l’ouverture d’une procédure de protection (selon les articles 425 et suivants du code civil), fondée sur l’articulation de l’article 1212 du Code de Procédure Civile avec l’article 416 du code civil, tenter d’obtenir que le juge des tutelles fasse examiner la personne à protéger par un médecin figurant sur une liste pour remplir la condition exigée par les articles 431 et suivants du code civil. Cela permet de faire constater la carence de certificat à la suite du refus de se faire examiner de la personne fragile. Et encore faut-il que la mesure de protection soit considérée comme sollicitée (même en l’absence de certificat médical) …
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Dans un second temps (nous supposons que l’examen aura finalement donné lieu à un certificat établissant l’altération des facultés de la personne), formaliser la demande d’une mesure de protection pour la personne concernée, comme par exemple une mise sous tutelle (articles 431 et suivants du code civil).
Il faut savoir que cette démarche en deux temps est également accessible, avec les mêmes textes, au Parquet.
Si j’en crois la circulaire du ministère, qu’il s’agisse du juge des tutelles ou du parquet, tout repose sur leur conviction (basée sur des éléments sérieux) qu’une protection est nécessaire et qu’une mesure judiciaire est la seule solution .
Mamouchka.
Post-scriptum :
Sur le même sujet des majeurs protégés, je vous propose la lecture de cette annonce (n°1504) du JO « Association » paru le 3 avril 2010 :
Création de l’association : COLLEGE DES MEDECINS EXPERTS POUR LA PROTECTION DES MAJEURS (CMEPM) à Paris.
Déclaration déposée le 2 mars 2010 à la préfecture de police, dont l’objet est de « promouvoir la formation et la reconnaissance des médecins spécialistes inscrits sur la liste du procureur de la République pour les majeurs vulnérables et favoriser la réflexion sur les pratiques en matière de mesures de protection. »